Quels risques à un salarié qui a signalé un manquement au code de déontologie des commissaires aux comptes ?

L’employeur qui licencie un salarié en lui reprochant d’avoir signalé des faits dont il a eu connaissance à son travail et qui, s’ils étaient établis, pourraient caractériser un manquement à des obligations déontologiques, risque de voir ce licenciement annulé. Seule l’éventuelle mauvaise foi du salarié, lorsqu’elle est soutenue et établie par l’employeur, pourrait remettre en cause la nullité du licenciement.

Un salarié licencié après avoir signalé à son employeur un risque de conflits d’intérêts

Courant 2011, un salarié a alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts entre les missions d’expert-comptable de la société et celles de commissaire aux comptes, à la suite de cas d’auto-révision sur plusieurs entreprises. Dans son courrier, il indiquait qu’à défaut de pouvoir discuter de cette question avec son employeur, il en saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes.

Dans les jours qui ont suivi ce courrier, l’employeur a engagé une procédure de licenciement à l’encontre de ce salarié.

La veille de son entretien préalable au licenciement, le salarié a saisi par courrier la compagnie régionale des commissaires aux comptes.

L’employeur l’a in fine licencié pour faute grave pour :

-défaut d’exécution des tâches et missions lui incombant ;

-comportement déplacé ayant pour effet de créer une ambiance de travail détestable ;

-menaces de saisie la compagnie des commissaires aux comptes pour un prétendu conflit d’intérêts contraire aux règles déontologiques.

Contestant ce licenciement, le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale pour qu’elle prononce la nullité de la rupture de son contrat de travail ou la déclare sans cause réelle et sérieuse.

Il a obtenu gain de cause.

Protection contre le licenciement du salarié qui signale des faits illicites constatés au travail

Depuis une loi du 6 décembre 2013 (loi 2013-1117 du 6 décembre 2013, JO du 7), le code du travail prévoit qu’un salarié ne peut pas être licencié au motif qu’il a « relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » (c. trav. art. L. 1132-3-3). La loi Sapin 2 a complété ces dispositions pour renforcer la protection contre le licenciement des lanceurs d’alerte (loi 2016-1691 du 9 décembre 2016, JO du 10).

Avant l’intervention de ces lois, les salariés qui dénonçaient des actes illicites constatés à l’occasion de leur travail n’étaient cependant pas sans protection. À plusieurs reprises, la Cour de cassation s’est fondée sur l’atteinte portée à la liberté d’expression du salarié, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail (CESDH, art. 10 § 1), pour déclarer nul le licenciement du salarié (cass. soc. 30 juin 2016, n° 15-10557, BC V n° 140 ; cass. soc. 7 juillet 2021, n° 19-25754 FSB).

Dans son arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation réitère sa position.

Nullité du licenciement du salarié alertant sur une violation du code de déontologie de la profession

Le licenciement d’un salarié pour avoir signalé des faits illicites constatés au travail est nul (c. trav. art. L. 1132-4).

Dans cette affaire, la Cour de cassation confirme la nullité du licenciement du salarié en relevant que :

-le salarié avait avisé l’employeur du risque de conflit d’intérêts préalablement à son licenciement et du fait qu’il allait alerter une instance supérieure sans réaction de son employeur ;

-la procédure de licenciement avait été mise en œuvre concomitamment à cette alerte et à la saisine par le salarié de l’organisme professionnel ;

-la lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d’avoir menacé son employeur de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes de l’existence d’une situation de conflit d’intérêts ;

-la situation signalée par le salarié est prohibée par le code de déontologie de la profession.

Aux yeux de la Cour de cassation, et à ceux de la cour d’appel, il ressort ainsi de tous ces éléments que le salarié a été licencié pour avoir relaté des faits, dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser une violation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes.

Peu importait ici aux juges que l’employeur ait aussi invoqué d’autres motifs de licenciement dans son courrier de rupture. La cour d’appel a achevé d’en être convaincue, approuvée en ce sens par la Cour de cassation, étant donné la concomitance entre l’envoi du courrier de dénonciation du salarié et sa convocation à un entretien préalable, ainsi que l’existence d’un doute concernant une mesure de rétorsion illicite de la part de l’employeur.

Absence de mauvaise foi du salarié susceptible de remettre en cause la nullité du licenciement

Pour bénéficier d’une protection contre le licenciement, la Cour de cassation exige que le salarié agisse « de bonne foi ».

Dans cette affaire, les juges ont relevé que l’employeur n’avait, en aucune manière, soutenu que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonçait.

La mauvaise foi du salarié n’étant pas établie, le licenciement était donc bien nul.

Cass. soc. 19 janvier 2022, n° 20-10057 FSB

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