Congés payés et arrêts maladie : FO et deux autres syndicats obtiennent la condamnation de l’État pour défaut de conformité au droit européen

En droit français, les droits à congés payés sont acquis en fonction du travail effectif que le salarié totalise sur la période de référence (c. trav. art. L. 3141-3). S’il y a lieu, il faut tenir compte des périodes d’absence et de congé assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés (c. trav. art. L. 3141-5, notamment). Dans ce contexte, sauf usage ou disposition conventionnelle contraire, les salariés n’acquièrent pas de droit à congés payés pendant les arrêts de travail pour maladie non professionnelle.

En effet, il n’existe pas de règle permettant d’assimiler ces absences à du travail effectif pour l’acquisition des congés payés, à l’inverse de ce qui est prévu pour les arrêts liés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle dans la limite d’une durée d’un an (c. trav. art. L. 3141-5, 5°).

La directive européenne sur le temps de travail de 2003 prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines (dir. 2003/88/CE du 4 novembre 2003, art. 7), sans distinguer selon l’origine des absences et donc y compris en cas d’arrêt de travail pour maladie non-professionnelle (CJUE 24 janvier 2012, aff. C-282/10).

On sait donc que le code du travail français n’est pas conforme à la directive européenne, ainsi que l’a reconnu la Cour de cassation depuis longtemps (cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285, BC V n° 73).

Cela étant, même si le droit français n’est pas conforme au droit européen, la directive européenne n’a pas d’effet direct dans un litige entre un salarié et un employeur de droit privé. Les juges ne peuvent donc pas s’y référer pour écarter les dispositions nationales contraires, par exemple si un salarié l’invoque pour réclamer des congés payés au titre d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle (cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285, BC V n° 73).

Seule exception admise : le cas des employeurs assimilés à une autorité publique pour lesquels l’article 7 de la directive est directement applicable, et que les salariés peuvent donc invoquer pour bénéficier du socle de 4 semaines de congés payés qu’elle garantit (cass. soc. 22 juin 2016, n° 15-20111, BC V n° 138 ; cass. soc. 2 mars 2022, n° 20-22214 D).

Cette exception mise à part, un salarié ne peut donc rien reprocher à un employeur qui s’en tient à l’application du code du travail.

En revanche, le salarié peut engager la responsabilité de l’État pour ne pas avoir mis le droit national en conformité et obtenir réparation du préjudice subi (CJCE 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90). Un salarié a d’ailleurs obtenu en 2016 la condamnation de l’État à l’indemniser pour les jours de congés payés perdus du fait de ses arrêts maladie, à concurrence des 4 semaines de congés payés garanties par la directive européenne [TA Clermont-Ferrand, 6 avril 2016, n° 1500608 ; voir Dictionnaire Paye, « Congés payés (incidence des arrêts de travail) »].

Trois syndicats (CGT, Force Ouvrière et Solidaires) ont engagé la responsabilité de l’État pour défaut de transposition de plusieurs textes européen, et en particulier de la directive de 2003.

Ce litige a déjà donné lieu à plusieurs décisions. Dans un premier temps, les syndicats ont essuyé un échec, d’abord devant le tribunal administratif de Montreuil (jugement du 24 avril 2017), puis la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles (arrêt du 30 juin 2020), au motif qu’ils n’établissaient pas l’existence d’un préjudice moral qui leur serait propre.

Le Conseil d’État a annulé l’arrêt de juin 2020 de la CAA de Versailles (CE 15 décembre 2011, n° 443511), et a renvoyé l’affaire devant la même CAA.

Et cette fois, le 17 juillet 2023, la CAA de Versailles, statuant en formation plénière, a donné gain de cause aux syndicats et condamné l’État.

La cour a admis que les syndicats étaient fondés à agir. Le code du travail permet à tout syndicat professionnel de demander (c. trav. art. L. 2131-1 et L. 2132-3), devant le juge administratif, la réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée, du fait d’une faute commise par l’administration, à l’intérêt collectif qu’il a pour objet de défendre, dans l’ensemble du champ professionnel et géographique qu’il a pour objet statutaire de représenter. Idem pour une union de syndicats (c. trav. art. L. 2133-3), sauf mentions contraires de ses statuts.

Cela étant admis, il ne restait qu’à reconnaître la responsabilité de l’État, ce qui n’a guère posé de difficulté.

Selon la cour, la responsabilité de l’État du fait des lois peut être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France.

Or, la transposition en droit interne des directives européennes est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celle-ci a le caractère d’une obligation constitutionnelle, en vertu de l’article 88-1 de la Constitution. Il appartient dès lors au juge national de garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l’égard des autorités publiques.

Pour la CAA, les dispositions actuelles du code du travail (voir ci-avant) sont incompatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE comme de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Un tel retard de transposition est susceptible d’engager la responsabilité de l’État en réparation du préjudice moral subi de ce fait par les salariés que représentent les organisations syndicales requérantes.

La CAA a condamné l’État à verser à chaque syndicat une somme de 10 000 €. Elle a ainsi pris en compte le caractère diffus du préjudice invoqué et sa limitation dans le temps du fait des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, laquelle a interprété les dispositions du code du travail, lorsque c’était possible, dans un sens permettant de donner plein effet à l’article 7 de la directive 2003/88/CE ou les a laissées inappliquées à l’invitation de la Cour de justice de l’Union européenne.

Voilà déjà de nombreuses années que la Cour de cassation pointe, dans ses rapports annuels, la non-conformité du code du travail français à la directive européenne de 2003. Elle suggère au législateur de fixer de façon claire la ou les règles applicables (voir, par exemple, les rapports annuels de 2013 et 2018).

Une suggestion jusqu’à présent restée lettre morte. Même la loi d’adaptation au droit de l’Union européenne du 9 mars 2023 (loi 2023-171 du 9 mars 2023, JO du 10) a laissé cette question de côté…

L’impact pour les entreprises serait important. Mais peut-être que les juges n’attendront pas le législateur et apporteront un jour leur solution.

CAA Versailles 17 juillet 2023, n° 22VE00442 http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CAA_Versailles_17juillet23.pdf

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