[Chronique] Le nomadisme digital : la fin du « métro – boulot – dodo »

Encore méconnu en 2019, le télétravail est tristement célèbre et plébiscité depuis la pandémie. Sa mise en œuvre en situation exceptionnelle a permis sa généralisation en période ordinaire. Preuve en est le nombre d’accords collectifs en la matière ne cesse d’augmenter. En outre, plus de 800 accords avaient été conclus dans les entreprises avant même la conclusion de l’accord national interprofessionnel de novembre 2020. Depuis la dynamique de négociation sur ce point ne faiblit pas. Elle répond, entre autres, aux attentes des salariés qui « contraignent » parfois les entreprises à repenser leur mode d’organisation du travail. La culture du présentiel, chère aux managers français, est progressivement abandonnée (ou doit l’être) pour passer dans une logique de confiance.

L’expansion du télétravail s’inscrit-elle dans les prémices « de l’explosion » du nomadisme digital ?

Le nomadisme digital est le terme employé pour qualifier des personnes exerçant un métier numérique leur permettant de travailler à distance et de voyager simultanément. À l’instar du veganisme, le nomadisme est un mode de vie. Ce qui est recherché/attendu n’est pas tant de travailler à domicile que d’exercer ses missions dans un cadre qui varie régulièrement. De plus, le nomadisme n’affecte pas seulement la sphère professionnelle de la personne qui exerce cette activité mais également sa vie personnelle. En l’occurrence, la conciliation entre ces deux temps est perméable à l’extrême.

Il semble se dessiner aujourd’hui un nouveau triptyque dans le monde du travail face non seulement à la place toujours plus accrue du numérique dans notre société mais aussi au regard des attentes évolutives des travailleurs : télétravail – flex office (littéralement bureau flottant) et nomadisme digital.

Alors qu’aujourd’hui nous entendons certaines organisations syndicales proposer les 32heures hebdomadaires, sans aller jusqu’à là, pourquoi ne pas mettre sur le devant de la scène la semaine de 4 jours (pour en savoir plus voir Chronique sociale « La semaine de 4 jours – Travailler moins pour travailler mieux » du 8 septembre 2020). Toutefois, ces réflexions sont bien trop éloignées des possibilités, semble-t-il, permises à l’égard des nomades puisque par principe ils établissent eux-mêmes leurs propres horaires de travail. C’est l’avantage du « statut d’indépendant ».

Lorsqu’on pense « nomade digital », on imagine souvent des personnes sur une plage paradisiaque avec leur ordinateur. Certes il en existe mais cela n’est pas représentatif de l’ensemble des praticiens. Même si sur le papier, la pratique pourrait être tentante, elle fait surgir de nombreuses craintes. En premier lieu, la dimension psychologique est un obstacle majeur : isolement, difficulté à construire une vie personnelle, etc. Les enjeux financiers doivent eux aussi être pris en considération. Aussi se pose la question du mode de nomadisme : auto-entrepreneur, free-lance, salarié en télétravail ? Dans les deux premiers cas, la sécurité de l’emploi n’est pas garantie. Autrement dit, devenir nomade digital ne se décrète pas et invite de fait à un travail d’introspection car le nomade construit son propre monde du travail, un monde du travail personnel.

Nomadisme & travail en entreprise : cette articulation est-elle envisageable ? Dans un premier temps, il semblerait qu’une réponse négative se profile. En effet, il est au préalable nécessaire de s’imprégner de la culture de l’entreprise, à l’instar du télétravail qui ne peut se faire immédiatement (hors cas de circonstances exceptionnelles). Ce n’est pas pour rien que les partenaires sociaux préconisent de ne pas dépasser deux jours de télétravail par semaine. Or, par définition, le nomade digital se situe à plusieurs centaines (voir milliers) de kilomètres de son lieu de travail. La possibilité de créer puis de maintenir des liens avec le collectif de travail lui est extrêmement difficile (même si cela n’est pas impossible).

De plus, dans de nombreuses hypothèses, le nomade digital rejette les contraintes inhérentes aux CDI, notamment l’existence du lien de subordination, c’est-à-dire cette relation de dépendance qui lie le salarié à son employeur.

Petit rappel sur l’inscription dans le contrat de travail du lieu d’exécution de la prestation : celui-ci n’a qu’une valeur informative. En d’autres termes, l’employeur peut modifier à sa guise le lieu d’exécution de la prestation dès lors que ce changement ne constitue qu’un simple changement des conditions de travail et non une modification du contrat de travail. À titre d’illustration, le changement de secteur géographique suppose l’accord du salarié puisque dans cette hypothèse, nous sommes en présence d’une modification d’un élément essentiel du contrat. Si le salarié refuse, deux possibilités : soit l’employeur renonce à la modification du contrat soit il licencie le salarié sachant que le refus du salarié n’est pas un motif valable de licenciement. Autrement dit, l’employeur doit s’appuyer sur le motif espéré par la demande de modification du contrat.

Travailler en voyageant, cela est-il possible ? Oui, de nombreux salariés passent le pas mais l’organisation est le maître-mot : gérer les papiers administratifs du pays dans lequel on souhaite s’installer, trouver un nouveau domicile, vérifier que la connexion Wifi existe, etc. En outre, il faut également prendre en considération le décalage horaire et les obligations professionnelles.

En résumé, la pratique du nomadisme ne peut pas se faire sur un coup de tête : c’est un véritable challenge avec des opportunités, des risques, des belles rencontres, des remises en question, etc. On peut considérer que le nomade digital est un baroudeur en voie de devenir un expatrié. En revanche, il est certain que ce n’est pas un vacancier.

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