Espionnage des syndicalistes

Hier en conseil des ministres, Manuel Valls a présenté les grandes lignes du projet de loi sur le renseignement. Ce texte, qui légalise les procédures d’écoute et de surveillance au nom de la lutte contre le terrorisme, menace les libertés individuelles et syndicales, estime le syndicat des avocats de France (SAF). Interview de son président, Florian Borg.

Le projet de loi sur le renseignement présenté hier par Manuel Valls vise à renforcer la lutte contre le terrorisme en légalisant des méthodes d’écoute et de surveillance. Pourquoi considérez-vous que ce projet constitue une menace pour les libertés individuelles et syndicales, notamment sur le droit de manifester ?

Parce que ce projet ne se limite pas seulement à la lutte contre le terrorisme ! Le champ d’application du projet généralise la pratique du renseignement au nom des « intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France » ou encore de « la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». Nous ne voyons pas la légitimité de telles extensions : nous sommes ici dans une légalisation de l’espionnage. Je prends deux exemples. Une manifestation syndicale sur la voie publique peut très bien constituer un risque de violence collective. Va-t-on pour cela justifier l’écoute des syndicalistes qui organisent la manifestation ? Mon deuxième exemple concerne la définition des intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France. On peut très bien considérer que le nucléaire fait partie de ces intérêts mais les écologistes ne partagent pas cette analyse : va-t-on autoriser pour autant l’écoute des écologistes au motif qu’ils sont hostiles au nucléaire ? Il faut retirer ces deux motivations, les violences collectives et les intérêts économiques et scientifiques, du projet de loi sur le renseignement. J’observe d’ailleurs que le futur rapporteur de la loi n’est autre que Jean-Jacques Urvoas, le député à l’origine de la proposition de loi sur le secret des affaires qui aurait limité l’action des représentants du personnel.

Le recours aux mesures de surveillance devra respecter une procédure écrite et motivée, et sera soumis à l’approbation du gouvernement après avis d’une commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), promet le Premier ministre. Qu’en pensez-vous ?

L’approbation du gouvernement n’est nullement une garantie pour les libertés individuelles. Le gouvernement applique une politique donnée mais le gouvernement est issu d’une majorité parlementaire qui peut changer demain et utiliser autrement ces nouveaux outils de surveillance : il y a là en germe un vrai risque pour les libertés publiques.

La commission nationale de contrôle des technique de renseignement (CNCTR), composée de magistrats, parlementaires, experts, devra contrôler la surveillance ainsi que les moyens utilisés. En outre, un citoyen s’estimant injustement écouté pourra saisir le conseil d’Etat. Cela ne vous paraît pas suffisant ?

Non ! Il appartient au pouvoir judiciaire d’être le garant des libertés publiques et au juge administratif de contrôler l’administration. Or cette commission comporterait, sur neuf membres, deux députés, deux sénateurs, deux conseillers d’Etat, deux magistrats et une personnalité qualifiée en matière de communications électroniques. Les magistrats ne sont donc même pas majoritaires au sein de cette commission. Et l’on sait combien les parlementaires ont, en France, du mal à s’extraire du poids de l’Exécutif. Nous demandons que cette commission comporte davantage de membres, qu’ils soient en majorité des juges administratifs ou judiciaires, et qu’en soient précisés les moyens de fonctionnement.

Et concernant la saisine du Conseil d’Etat par un citoyen pensant être surveillé à tort ?

Tout dépendra des conditions d’application de cette saisine. Pour qu’elle soit effective, il faudrait que les personnes ayant fait l’objet d’une écoute en soient postérieurement informées afin qu’elles puissent agir si elles estiment avoir fait l’objet d’une écoute sans fondement.

Craignez-vous que certains professionnels (journalistes, avocats, syndicalistes) ne soient pas protégés contre la pose de micros et la surveillance informatique ?

La liberté individuelle n’est pas un enjeu pour ces seuls métiers : elle concerne l’ensemble des citoyens. Mais il est vrai que les avocats, les journalistes et les syndicalistes s’expriment publiquement et ont des responsabilités particulières à l’égard de la société. Il faut donc les protéger. Aujourd’hui, le bâtonnier doit être averti lorsqu’un avocat est mis sur écoute : il faut que cette règle perdure !

Les syndicats de salariés partagent-ils vos inquiétudes ?

Nous n’avons pas encore échangé sur le sujet. Mais lors des débats sur le secret des affaires, nous étions sur la même ligne : cette disposition remettait en question l’exercice de leur mandat par les représentants du personnel. Encore une fois, la notion des intérêts économiques essentiels de la France présente dans le projet de loi sur le renseignement ne pourrait-elle pas justifier l’espionnage d’un syndicaliste s’exprimant contre le PSE d’une entreprise jugée stratégique ?

Le contexte actuel, avec les attentats de Paris et de Tunis, semble de nature à justifier le renforcement des moyens anti-terroristes. Comment faire entendre une autre approche ?

C’est une vraie difficulté. Il va nous falloir expliquer que le projet de loi ne porte que très partiellement sur le terrorisme, et que la prévention du terrorisme ne peut justifier un renseignement généralisé à l’ensemble du champ social. Il s’agit d’une loi d’espionnage. Mais nous ne sommes pas dans un film. La gravité de la situation impose des mesures rigoureuses et directement en rapport avec le terrorisme.

Source : Bernard Domergue (Elnet CE)

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