L’absence de paiement de la rémunération variable sur plusieurs années en raison du caractère irréaliste des objectifs définis, ou de leur absence de fixation, peut valablement motiver une prise d’acte. À cet égard, il revient à l’employeur de prouver que les objectifs fixés au salarié sont réalisables.
La prise d’acte aux mains du salarié
Un salarié en CDI peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur car il lui reproche de ne pas respecter ses obligations de façon grave, qu’il s’agisse :
-d’une inexécution de ses obligations contractuelles ou conventionnelles (ex. : non-paiement du salaire, modification de la qualification professionnelle sans l’accord du salarié) ;
-d’une attitude fautive (ex. : non-respect de règles d’hygiène, harcèlement, etc.).
Si les faits reprochés sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 30 mars 2010, n° 08-44236, BC V n° 80). Si ce n’est pas le cas, elle produit ceux d’une démission.
À noter que la prise d’acte ne demande pas de formalisme particulier et que ses conséquences financières sont généralement déterminées par le conseil de prud’hommes qui juge si la prise d’acte est justifiée (torts de l’employeur suffisamment graves pour rendre la poursuite du contrat de travail impossible).
Prise d’acte pour objectifs mal fixés ou non fixés
Défaut de versement d’une part variable de rémunération. – Un salarié avait été embauché comme responsable régional des ventes le 1er septembre 2013. Sa rémunération comprenait une partie fixe et une partie variable.
En effet, son contrat de travail spécifiait qu’il bénéficiait d’un intéressement sur les ventes réalisées, suivant un schéma annexé au contrat. Cette annexe définissait les modalités de la part variable de la rémunération et les objectifs à atteindre pour l’année 2013. Il n’était pas précisé que ces objectifs devaient être annuellement fixés (quantité et nature).
Pour l’employeur, cela indiquait clairement que les « objectifs fixés n’étaient pas discutés chaque année et qu’ils étaient de facto maintenus, faute d’un autre accord » entre le salarié et lui.
De son côté, le salarié lui reprochait l’absence de paiement de la partie variable de son salaire, alors que, selon lui, les objectifs fixés pour l’année 2013 étaient irréalisables et que l’employeur aurait dû lui fixer des objectifs pour les années 2014 et 2015. En conséquence, en janvier 2016, il avait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur et réclamait des rappels de salaires au titre de la part variable de sa rémunération pour les exercices 2013, 2014 et 2015.
Des objectifs mal ou pas fixés. – La cour d’appel a donné raison au salarié après avoir constaté :
-que l’employeur ne produisait aucun élément de nature à établir que les objectifs qu’il avait fixés au salarié pour l’année 2013 étaient réalisables ;
-que les objectifs fixés dans l’annexe au contrat de travail l’étaient pour la seule année 2013, sans reconduction possible pour les années suivantes (elle interprète ici le contrat de travail, les termes de celui-ci manquant de clarté).
Ainsi, en se fondant sur l’absence de paiement de la rémunération variable en raison du caractère irréaliste des objectifs définis pour 2013 et de l’absence de fixation d’objectifs pour les années suivantes, elle a condamné l’employeur au versement de rappels de salaire sur la rémunération variable pour les exercices 2013, 2014 et 2015 et au versement d’indemnités de rupture au titre de la prise d’acte jugée justifiée.
La Cour de cassation abonde en son sens. Elle estime que les manquements de l’employeur pendant plusieurs années avaient privé le salarié de sa rémunération variable contractuelle. Ces manquements avaient empêché la poursuite du contrat de travail. Par conséquent, la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La preuve du caractère réalisable des objectifs pèse sur l’employeur
Dans ses arguments contre la décision de la cour d’appel, l’employeur reprochait à celle-ci d’avoir inversé la charge la preuve en faisant peser sur ses épaules la démonstration du caractère réalisable des objectifs fixés au salarié.
Selon l’employeur, c’était au salarié de prouver le caractère irréalisable des objectifs fixés d’un commun accord.
La Cour de cassation a donné raison à la cour d’appel et rejeté l’argument de l’employeur.
Par conséquent, lorsqu’un employeur conditionne le versement d’une rémunération variable à l’atteinte d’objectifs, il doit d’une part fixer ces objectifs et d’autre part être mesure de démontrer que les objectifs fixés sont réalisables.
Cass. soc. 15 décembre 2021, n° 19-20978 FSB
Poster un Commentaire