Le pouvoir disciplinaire de l’employeur peut se heurter à certaines situations qui l’empêchent de sanctionner un salarié. Nous vous proposons ci-après une liste non exhaustive de situations qui bloquent le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Des faits perdant leur caractère fautif
De manière générale, le salarié peut justifier d’un motif légitime qui fait perdre aux faits leur caractère fautif. Lorsque la faute est imputable au moins partiellement à l’employeur, cette circonstance peut également faire perdre aux faits leur caractère fautif. L’agression verbale commise par un salarié résultant de son état pathologique ne constitue ni une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement. Également, un employeur doit, en amont, prendre toutes les mesures de prévention, sauf à manquer à son obligation de sécurité de résultat. Ce manquement à l’obligation de sécurité de résultat pourrait empêcher l’employeur de prononcer valablement une sanction en cas de manquement du salarié à certaines obligations contractuelles.
Pas de double sanction
Un même fait ne peut donner lieu à deux sanctions successives (non bis in idem). Un employeur, informé de l’ensemble des faits reprochés à un salarié, qui décide de prononcer une sanction sur une partie seulement de ces faits épuise son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer une nouvelle sanction basée sur les autres faits connus avant la notification de la première, et ce, même si ces autres faits ne sont pas encore prescrits (Cass. soc., 16-3-10, n°08-43057).
La vie privée est protégée
Un fait tiré de la vie personnelle ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail (manquement à l’obligation de loyauté ou de probité) ou s’il se rattache à la vie professionnelle du salarié. S’il ne peut motiver un licenciement disciplinaire faute de pouvoir constituer un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail, un fait de vie personnelle peut fonder un licenciement pour un motif non disciplinaire lorsqu’il cause un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise (Cass. soc., 14-9-10, n°09-65675 ; Pour apprécier le trouble objectif causé à l’entreprise, deux éléments sont pris en considération : les fonctions occupées par le salarié et la finalité propre de l’entreprise).
Sanctions pécuniaires
Parmi les sanctions interdites, on trouve les sanctions pécuniaires. Le fait d’infliger une amende ou une sanction pécuniaire en méconnaissance des dispositions de l’article L 1331-2 est puni d’une amende de 3 750 euros (art. L 1334-1 du code du travail). Une sanction pécuniaire pourrait se définir comme toute retenue sur salaire effectuée par l’employeur en raison d’une faute du salarié et qui ne correspond pas à une période d’inactivité.
Sanction nécessitant l’accord du salarié
L’employeur ne peut infliger une sanction qui modifie le contrat de travail d’un salarié sans obtenir son accord. L’employeur doit, lorsqu’il notifie au salarié une sanction modifiant son contrat de travail, l’informer de sa faculté d’accepter ou de refuser cette modification (Cass. soc., 28-4-11, n°09-70619). L’absence de cette information peut permettre au salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail (Cass. soc., 28-4-11, n°09-70619). Un employeur qui applique immédiatement une rétrogradation ou toute autre sanction modifiant le contrat de travail du salarié, sans recueillir préalablement son accord, épuise son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer ultérieurement un licenciement pour les mêmes faits, aucun fait fautif ne pouvant donner lieu à une double sanction (Cass. soc., 17-6-09, n°07-44570).
Si le salarié refuse la sanction modifiant son contrat de travail, l’employeur peut toujours prendre une autre sanction qui peut être un licenciement disciplinaire (y compris pour faute grave) si les faits reprochés à l’origine le justifient, ou une sanction plus légère. Dans ce cas, il doit convoquer l’intéressé à un nouvel entretien dans un délai de deux mois, ce délai courant à compter de la date à laquelle le salarié a refusé la sanction (Cass. soc. 11-2-09, n°06-45897 ; Cass. soc., 28-4-11 n°10-13979). A noter que le licenciement prononcé à la place de la sanction refusée ne peut être fondé sur le refus de la modification, celui-ci n’étant pas fautif (Cass. soc., 27-3-07 n°06-42113).
Concernant les salariés protégés, l’employeur, ne pouvant modifier les conditions de travail ou le contrat de travail de ces salariés sans leur accord, doit normalement recueillir leur assentiment pour mettre en œuvre une mise à pied disciplinaire. L’employeur, qui notifierait une mise à pied disciplinaire sans obtenir préalablement l’accord du salarié protégé, épuiserait son pouvoir disciplinaire en cas de refus de celui-ci de l’exécuter. En cas de refus du salarié protégé de se voir appliquer la mise à pied disciplinaire, il appartient à l’employeur soit de renoncer à sa sanction, soit d’engager la procédure de licenciement en demandant l’autorisation de l’inspection du travail. Dans l’attente de son licenciement, le salarié protégé doit être maintenu dans son emploi, aux conditions initiales. Au regard de l’autorisation administrative, le refus d’un changement des conditions de travail constitue cependant une faute (CE, 27-6-97, n°163522).
A noter qu’un salarié qui accepte une rétrogradation ou une mutation comme sanction disciplinaire, modifiant un élément essentiel de son contrat de travail, reste en droit de contester ultérieurement la régularité et le bien-fondé de la sanction (Cass. soc., 14-4-21 n°19-12180).
Le droit de retrait
L’exercice légitime du droit de retrait ne peut justifier une sanction disciplinaire. Un salarié qui s’est retiré d’une situation dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ne peut encourir aucune sanction (y compris le licenciement), ni retenue sur salaire (art. L 4131-3 du code du travail). Le licenciement d’un salarié qui a exercé régulièrement son droit de retrait est nul (Cass. soc. 28-1-09, n°07-44556).
Pas de sanctions discriminatoires
Les sanctions qui reposent sur un motif discriminatoire prohibé prévu par l’article L 1132-1 sont nulles. Également, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L 1132-1 et L 1132-2 ou pour les avoir relatés.
Selon l’article L 1152-2 du code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
La protection du salarié qui dénonce ou témoigne de faits de harcèlement ne joue pas en cas de mauvaise foi. La charge de la preuve relative à la mauvaise foi pèse sur l’employeur. L’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge (Cass. soc., 16-9-20, n°18-26696). Autrement dit, la mauvaise foi du salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, peut être invoquée devant le juge même si l’employeur ne s’en est pas prévalu expressément dans la lettre de licenciement, celle-ci pouvant se déduire du comportement contradictoire du salarié. Attention, cette mauvaise foi ne peut pas résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 10-3-09 n°07-44092). Il importe en effet que le salarié ait eu connaissance de la fausseté des faits dénoncés (Cass. soc., 7-2-12 n°10-18035).
L’article L 1132-3-3 du code du travail interdit toute mesure discriminatoire (du recrutement au licenciement, en passant par l’accès à un stage ou une formation), directe ou indirecte, à l’encontre d’une personne ayant signalé une alerte dans le respect de la loi Sapin II (Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 modifiée relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique).
L’exercice d’une liberté fondamentale n’est pas une faute
Le salarié qui exerce une liberté fondamentale (liberté d’expression, de manifester, exercice du droit de grève) ne peut faire l’objet d’une sanction. Toute mesure contraire est nulle. L’exercice normal du droit de grève (article L 1132-2 ; Cass. soc., 7-6-95, n°93-42789) ne peut justifier une sanction. Seule la commission d’une faute lourde durant le mouvement de grève peut justifier un licenciement.
L’employeur ne peut utiliser son pouvoir disciplinaire en rétorsion à l’action en justice introduite par un salarié, le licenciement est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale (Cass. soc., 21-9-16, n°15-10263). Autrement dit, est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur. Lorsqu’une lettre de licenciement reproche au salarié d’avoir produit dans le cadre d’une instance prud’homale les bulletins de salaires de cinq de ses collègues obtenus frauduleusement, les juges considèrent que la seule référence dans la lettre de rupture à la procédure contentieuse engagée par le salarié contre son employeur est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice (Cass. soc., 28-9-22, n°21-11101). La violation de la liberté fondamentale d’ester en justice du salarié ne se présume pas. Ainsi, le seul fait qu’une action en justice exercée par le salarié à l’encontre de l’employeur soit contemporaine d’une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice (Cass. soc., 4-9-20, n°19-12367).
Également, le salarié ne peut être sanctionné, de manière générale, pour avoir témoigné en justice. Dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’employeur ne peut pas prendre en considération le fait pour un salarié de témoigner de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie pour décider de la résiliation du contrat de travail ou d’une sanction disciplinaire (art. L 313-24 du code de l’action sociale et des familles).
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