[Dossier] Transformation numérique et vie au travail – Chapitre 5 : Le forfait-jours

LE FORFAIT-JOURS

Quand travaillerons-nous ? Quel est le temps de vie dévolu au travail ?

Constat

15 ans après sa création, le forfait-jours est utilisé comme un outil d’aménagement du temps de travail et de rémunération pour 13,8% des salariés. En 2005, la base des salariés concernés – initialement les cadres – est élargie sous conditions aux non-cadres. Les premiers restent néanmoins les principaux bénéficiaires de ce dispositif : 47% des cadres sont au forfait-jours, seulement 3% des non-cadres. En pratique, ce dispositif se traduit par une hausse de la durée annuelle effective du travail et de la rémunération, l’effacement des limites de travail quotidienne et hebdomadaire étant associées à une contrepartie financière. L’utilisation de plus en plus répandue de ce forfait a conduit à des abus menaçant l’équilibre de vie des travailleurs.

Le point sur la législation

La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a précisé le régime juridique des conventions de forfait-jours mis en place initialement par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail dite Aubry II. Ces lois ont ainsi élaboré les conditions principales du forfait-jours :
– il est destiné aux salariés cadres autonomes et aux salariés non-cadres disposant d’une réelle autonomie dans leur organisation de travail ;
– il fait l’objet d’un accord d’entreprise, d’établissement ou, à défaut, de branche ;
– il est en cadré par des dispositions conventionnelles qui garantissent le respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires.

Depuis 2011, la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a invalidé différentes conventions (dix en tout) sur les forfait-jours dessinant une exigence renforcée autour de la santé et la sécurité des salariés. Elle a réprouvé un usage abusif de ce dispositif auprès de salariés ne disposant pas réellement d’autonomie dans l’organisation de leur travail ou enfreignant les obligations liées au repos. Le temps de travail, de repos et la charge de travail doivent ainsi faire l’objet d’un suivi effectif et partagé. Il s’agit pour les conventions collectives de « garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé ».

Ce que dit le rapport Mettling (Bruno Mettling, directeur général adjoint d’Orange, chargé des ressources humaines)

Le rapport constate d’une part « l’adéquation du forfait-jours (qui couvre aujourd’hui plus de 40% des cadres français) avec les besoins des entreprises engagées dans la transformation numérique », et d’autre part l’insécurité juridique de son statut.

Préconisation n°11 : Mettre à jour « les dispositions législatives […] sur les points que devraient décliner les accords collectifs de branche ou d’entreprise autorisant l’accès au forfait-jours pour satisfaire aux exigences de respect de la santé relevées par la Cour de Cassation ; ajouter les travailleurs du numérique et de la connaissance à la liste générale des dérogations possibles […] à la directive européenne »

Ce que dit le rapport Mettling

• « satisfaire aux exigences de respect de la santé relevées par la Cour de Cassation »
La jurisprudence de la Chambre Sociale, en annulant certaines conventions collectives, a constitué un ensemble de garanties à l’égard des salariés qui établit une acception restrictive du forfait-jours.

Ce que pense FO-Cadres

L’imprécision législative a engendré une utilisation abusive d’un dispositif insuffisamment défini. Cette intervention de la Haute Cour pour contrôler le respect effectif des dispositions relatives au temps de travail et de repos souligne le risque réel de dégradation des conditions de travail pour les salariés. Il apparaît que les conventions collectives n’ont pas su trouver par elles-mêmes un équilibre de devoirs et de droits et que l’intervention des juges a été nécessaire pour que ce dispositif, par ailleurs plébiscité, demeure respectueux de la santé des travailleurs.
Les modalités concrètes nées du prétoire établissent désormais un socle de garanties qui évitent de vider le forfait-jours de son contenu en n’en faisant plus qu’une parade destinée à accroître sans limite les contraintes de travail. Le législateur se doit d’assurer une meilleure lisibilité et compréhension des conventions liées au forfait-jours afin de sécuriser leur mise en œuvre, tant pour les employeurs que pour les salariés.

Ce que dit le rapport Mettling

• « Ajouter les travailleurs du numérique et de la connaissance à la liste générale des dérogations possibles […] à la directive européenne »
Cette disposition prévoit le temps minimum de repos, la durée maximale de travail et les exceptions tenant aux personnes et à l’activité. Pour assurer l’adaptation du cadre juridique à la société du numérique, le rapport suggère une redéfinition des dérogations incluant les travailleurs du numérique. Toute dérogation, respectueuse du principe de sécurité et santé des travailleurs, sera issue d’un accord collectif assurant un mécanisme de repos compensateur et de suivi de la charge de travail.

Ce que pense FO-Cadres

Les demandes des syndicats patronaux allemands pour la renégociation de la directive européenne citées par le rapport Mettling sont :
– le remplacement de la limitation quotidienne de 10 heures de travail par une limitation hebdomadaire sans mention d’horaires précis ;
– un assouplissement des «barrières bureaucratiques » auxquelles est soumis le travail le weekend.

S’il apparaît manifeste que le cadre communautaire donne l’impulsion aux adaptations nécessaires des législations nationales, il faut cependant s’interroger sur l’orientation que celui-ci doit prendre. La directive européenne manie à la fois les notions de santé des travailleurs et d’exceptions aux encadrements du temps de travail et de repos. Certes, l’avènement du numérique et ses conséquences en termes de temps et lieux de travail n’ont pas à être ignorées par l’Union Européenne. Cependant, elle doit rester lucide quant aux risques induits par un cadre trop lâche, qui justement n’encadre plus. Ce n’est pas la vocation première du forfait-jours que de permettre un investissement professionnel complètement déconnecté de l’investissement temporel. La déréglementation excessive du temps de travail porte préjudice au temps de repos qui est son corollaire direct. En effet, de façon simplifiée, le temps du travailleur est de deux natures ; professionnelle ou privée, les deux fonctionnant en vase communiquant. La souplesse demandée au cadre communautaire est légitime, néanmoins elle n’a pas à se traduire par une disparition d’un cadre de temps de travail. Elle doit surtout fixer des garanties justes assurant la protection des salariés et favorisant le travail connecté.

FO-Cadres insiste pour que les forfaits-jours ne s’appliquent qu’aux seuls cadres disposant d’une réelle autonomie pour leur organisation de travail. Ils ne doivent pas non plus porter préjudice à la santé des salariés et à ce titre doivent respecter les limites quotidiennes et hebdomadaires de travail. Pour la même raison, la limite de 218 jours maximum travaillés dans l’année ne doit pas être susceptible de dérogation.

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